Roumanie, richesse oubliée d’Europe

Une histoire mouvementée, un patrimoine culturel et naturel à faire pâlir les grandes nations européennes, un patchwork  ethnique complexe… quelques mots pour décrire l’un des pays européens le moins (re)connu et visité…

Le patrimoine inconnu

Le voyageur que l’on croise en Roumanie peut être féru d’Histoire (et d’histoires) et alors viendra-t-il chercher le frisson au célèbre château de Bhrams ; il peut être jeune, insouciant et un peu aventurier et il viendra sur les plages de la Mer Noire festoyer sans vider son porte-monnaie ; il peut être sportif et amoureux de la nature, alors il viendra se perdre dans les sommets des Carpates ; ou encore peut-il être l’un de ces hippies n’ayant pas renoncé aux idéaux des années 60 et venir faire du nudisme sur les quelques plages sauvages que compte encore le pays. Le voyageur qui s’aventure en Roumanie a entendu toutes sortes de témoignages, a parcouru forums et sites touristiques pour s’assurer qu’il ne se ferait pas détrousser au détour d’un chemin, ou attaquer par un ours au fond d’une forêt… Il sait que les tours opérateurs et les agences ne rivalisent pas pour y envoyer leurs touristes, et c’est peut-être pour cela qu’il a choisi d’y passer ses précieuses semaines de congés payés.

Si l’attractivité de la Transylvanie et la renommée de ses villages historiques n’ont plus grand-chose à envier aux villages et châteaux français ; si la côte de la Mer Noire se compare aisément à notre côte d’Azur, un déficit de popularité frappe notamment le delta du Danube. Le célèbre guide du Routard, qui se targue pourtant de faire découvrir lieux atypiques et trésors cachés à ses lecteurs, n’y consacre que 2 pages ; reflétant par là-même l’absence d’infrastructures pour y accueillir des touristes. Installés dans une petite pension au bord du delta, il faut discuter avec les jeunes du village pour découvrir un site archéologique distant de seulement quelques kilomètres. Il faut discuter (en roumain) avec les propriétaires d’établissements touristiques pour se voir proposer une balade en bateau au milieu de cette formidable réserve de biodiversité. Et nul besoin de pousser la conversation beaucoup plus loin pour les entendre se plaindre haut et fort que si « ce delta était en France, on y recevrait des milliers de curieux par jour ». Mais ici l’Etat mentionne à peine son existence dans ses offices de tourisme. Et pourtant rares sont les deltas dont la taille permet à une telle biodiversité de s’épanouir… Oiseaux, nénuphars et végétation luxuriante y forment un paysage semblable au célèbre « bayou » de la Nouvelle Orléans, ce qui lui vaut d’être une destination tout aussi prisée des moustiques et de leurs cousins.

Retour vers le futur

Un delta qui mérite le détour on l’aura compris, mais cependant nul besoin d’aller si loin pour se dépayser. C’est que le visiteur peut venir chercher en Roumanie ce qu’on ne trouve plus en France depuis 40 ans : des paysans qui cultivent la terre à la main, et se déplacent en charrette à cheval ; une solidarité organique qui ne laisse pas les auto-stoppeurs sur le bord de la route, de vieux bâtiments défraichis ou abîmés par les conflits, autrefois palaces ou villas luxueuses, des chiens errants au cœur des villes, ou encore, parenthèse féminine, des boutiques de vêtements cousus à la main…

La Roumanie fait moins de 900km de long en large. Les distances y paraissent courtes, mais les routes de campagne qui serpentent entre les montagnes ralentissent les voyageurs impatients que nous sommes, impatients de se téléporter d’une vue panoramique à un château médiéval, d’un village typique à un musée historique… Et pourtant, c’est au vagabond en balade, cycliste, marcheur ou chauffeur, que le pays révèle toutes ses merveilles. On sort d’une agglomération, et c’est entre un champ de maïs et un de tournesols, que la route devient paisible…

Quel contraste en effet entre les pentes boisées transylvaniennes et la plaine fertile, hésitante entre le jaune moucheté des champs de blé ou de maïs au repos, et la verdure intense des vignes et potagers dans la fleur de l’âge… Cette terre qui donne à qui ceux qui savent la préserver, à ceux qui l’ont vu évoluer, et ne cherchent qu’à la faire parler… A qui veut retrouver le calme pacifique des campagnes européennes, la réalité d’une vie rurale proche de la terre et des siens – celle que nos aïeux nous content ; je leur suggère un détour en pays roumain. Dans quel pays européen peut-on encore espérer accueillir le temps d’un trajet la grand-mère ou le vieil auto-stoppeur se rendant au village voisin le pouce en l’air ? Dans quel village européen peut-on encore se nourrir de ce qui y est produit ?1 Mieux encore, s’en nourrir exclusivement et vendre ce qui en reste sur le bord de la route, à qui s’y perdra. Une Europe individualiste et gourmande en ressources se targue d’imposer les meilleurs standards aux pays qui n’ont pas eu la chance de profiter de l’essor capitaliste qui a fait de nos campagnes et nos villages les arrière-cuisines ou les usines des mégapoles. Une Europe bien certaine de sa chance, qui tente pourtant aujourd’hui de faire face à ces géants industriels et agricoles ; sous la pression de ses concitoyens, qui plaident progressivement pour un retour aux sources. L’Union européenne, entre opportunités et complications pour une population qui connait une émigration massive vers les pays de l’ouest, renforcée par la création de l’espace Schengen en 2002.

Diaspora et fierté nationale

Avec ses 19 millions d’habitants, la Roumanie compte parmi les pays européens dont la population a diminué ces dernières années. C’est le cas pour une bonne partie des pays européens dits « périphériques » ou « du sud ». Baisse de la natalité ? Pas encore, mais une fuite des cerveaux … La diaspora roumaine est particulièrement importante, avec ces quelques 3 millions de roumains à l’étranger (presqu’autant que la diaspora française qui compte 3 fois plus de ressortissants…). Depuis les premières affirmations de la nation roumaine au milieu du XIXème siècle, les roumains de l’étranger ont connu des images contrastées. Elite culturelle et politique durant l’entre-deux guerres ; dissidents pendant le régime communiste ; c’est après 1989 que l’image de voleurs et prostituées, renforcée par l’amalgame avec les Roms, s’est forgée. Pourtant, le remède est simple : nul besoin d’aller en Roumanie pour discuter avec un expatrié et s’apercevoir bien assez rapidement qu’ils ont ces « voleurs de poules » en horreur. Comme l’affirme l’un de mes amis roumains vivant en France depuis des années, « Depuis 10 ans que la France connait un afflux de roms important, ses efforts d’intégration équivalent au moins au triple de ceux que l’Etat roumain a pu faire en 50 ans ». Les Roms ne sont pas bienvenus en Roumanie, pas plus qu’ils ne le sont dans les pays voisins Bulgarie, Ukraine, Hongrie… c’est pourquoi ils tentent leur chance jusque chez nous. Les recherches menées sur leurs origines indiquent qu’ils seraient arrivés du nord de l’Inde il y a plus de 1000 ans, sans qu’aucune date certaine ne puisse être avancée, en raison de leur intégration à la plus large communauté des « gitans » et des artistes. Réduits en esclavage jusqu’au milieu du XIXème siècle en Roumanie, victime d’un système administratif non adapté à leurs traditions, les Roms ont connu bien peu de chances d’intégration, et si peu d’entre eux sont prêts à faire les efforts nécessaires aujourd’hui, c’est très certainement le prix de siècles de stigmatisation et d’humiliation… Un détour par Ciocanari, commune du nord de Bucarest tristement célèbre pour les affaires de vol d’essence et de véhicules de sa communauté rom, nous as donné un avant-goût des difficultés à intégrer cette population. Les habitants des villages alentours nous ont déconseillé dès notre arrivée de nous aventurer à Ciocanari ; suite à quoi nous avons passé trois jours à travailler avec eux au sein d’une association du village, et à déconstruire une bonne partie de nos préjugés…

La Roumanie a donc tout à offrir, tout à construire, et avant tout une histoire et une diversité à valoriser. Mais comment transformer l’image d’un pays que même ses citoyens ont fâcheusement tendance à dénigrer ? Je me souviens d’un roumain d’une quarantaine d’années qui nous pris en stop et nous affirmait le plus sérieusement du monde que si cette pratique était si commune en Roumanie, c’est que dans ce pays personne n’était assez inconscient pour laisser un voyageur sur le bord de la route… Triste histoire qui reflète l’absence de fierté nationale. Les autorités publiques, tout comme les intellectuels qui essaient aujourd’hui de faire revenir une diaspora qualifiée, pour participer à la construction d’une Roumanie démocratique et compétitive, ont encore un long chemin devant eux…

Pauline
Octobre 2016

1 En réalité, ce texte est également inspiré d’un voyage en Bulgarie effectué en 2015, si on se limite aux aspects évoqués dans cet article, on retrouve en effet de nombreuses similarités entre ces 2 pays.

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