Némésis

Je me suis réveillé à cinq heure, un dragon sur la tête de lit. Il me regardait avec compassion, calme. Ses ailes vibraient par instant, comme pour chasser le silence.

Malgré la pénombre de la chambre je pouvais distinguer le violet et le rouge de ses écailles. J’étais bien réveillé. Il dégageait de la chaleur, cette chaleur douce et enveloppante des feux de cheminée. Je suis resté plusieurs minutes à le regarder. Je le reconnaissais et il le savait, tout satisfait de son effet, presque amusé. Puis son attitude a glissé vers une forme de tristesse. Nous avons partagé ce sentiment. J’aurais voulu être surpris de le voir, mais j’y étais en fait résigné depuis plusieurs jours. Je le savais dormant, je le croyais d’un sommeil plus lourd. L’odeur de nourriture l’aura réveillé, sûrement. Sans voix, sans bruit, nous avons dialogué.

Il me demande où il est. Il ne connaît pas cet endroit. Je m’en amuse et ne lui répond pas. Alors il ajoute qu’il sait pourquoi il est là, et qu’il sait que je sais pourquoi il est là. Je souris, il répond d’un léger mouvement de satisfaction. Nous nous comprenons comme de vieux complices, comme de vieux ennemis respectueux. Mon Némésis. Je roule sur le dos, je tente de ne lui prêter aucune autre attention, je sens sa chaleur au-dessus de ma tête. Nous ne nous disons plus rien. Le bruissement saccadé de ses ailes me tient captif de l’instant. Je lui demande pourquoi, un pourquoi rhétorique, je lui demande pourquoi derechef. Il joue avec les silences, joue les sages, sur sa montagne. Il ne sait pas, et s’en moque. Je me retourne vers lui pour constater qu’il a rapetissé, que sa couleur s’est ternie. Le sait-il ? J’y vois un renversement de situation. Je lui lance qu’il ne gâchera pas la suite de mon histoire, orgueilleux me répond-il, fière et déterminé rétorquai-je. Alors cesse de me nourrir, murmure-t-il en s’effaçant.

La chaleur a alors fait place à une odeur étrange, indéterminée, simplement remarquable.

Je n’ai pas la sensation de victoire attendue car l’expérience me dit que ce n’est pas terminé. Il se nourris de ma violence intérieure, celle dont je suis seul responsable. Il ne tient qu’à moi de ne pas le voir revenir. Mes armes sont frappées du sceau de la détermination, orne d’un papillon beige, animal rassurant. Je ferme les yeux en pensant à lui, espérant me rendormir. Mon esprit court parmi les herbes d’un parc urbain. Mon papillon vole autour de moi, m’effleure parfois, puis se pose sur mon épaule. Le temps est radieux, nous sommes seuls dans une foule de gens flânant dans les allers. Je ne suis plus sûr d’être là. Où sommes-nous réellement ? C’est vrai qu’il est rassurant.

Hugo Venturini

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